Présentation

par Benoit Hamot

Résumé de la Théorie mimétique

Questions théoriques

La théorie mimétique et la psychanalyse

Résumé de la théorie mimétique

« La situation de l'interprète qui dispose de la lecture mimétique des rapports humains est celle d'un historien des sciences qui tiendrait la réponse scientifique à un certain problème et qui se retournerait sur les efforts des savants, au cours de l'histoire, pour résoudre ce problème. Il est en mesure de dire exactement à quel point et pour quelles raisons les précurseurs de la solution véritable se sont fourvoyés dans leurs recherches. » GIRARD R. (1978)  Des choses cachées depuis la fondation du monde , Paris, Grasset , p.52-53


- Le mimétisme permet d'acquérir des capacités autres qu'instinctuelle (apprendre en imitant), mais aussi de désirer. La sexualité humaine se trouve ainsi soumise au désir de l'autre, à la fois modèle lorsqu'il s'agit d'être, mais aussi rival lorsqu'il s'agit d'avoir.

- Aucun groupe ne peut subsister sans que la violence consécutive à ces rivalités soit contenue. Dans le règne animal, les structures de dominances suffisent. Chez les humains, l'imitation produit un effet d'entrainement réciproque, un effet d'infini comparable à deux miroirs opposés. Le désir outrepasse ainsi les limites, il ne porte plus sur des objets susceptibles de l'assouvir, mais il se recherche lui-même. Désirer devient un but en soi. Girard parle de "désir métaphysique", de "mensonge romantique".

- De telles situations se manifestent sous la forme de crises. Elles sont observables dans toutes les activités humaines: pugilats, psychoses, bulles et crashs spéculatifs, transes collectives... mettent régulièrement en danger la cohésion sociale.

- C'est le mécanisme bien identifié de nos jours sous le terme de « phénomène de bouc émissaire » (nous employons de préférence le terme de mécanisme victimaire) qui vient mettre un terme à la crise. Il apparait d'abord de façon à la fois contingente et nécessaire à la survie du groupe, puis sous une forme ritualisée, répétitive. Il permet d'évacuer la violence rivalitaire hors du champ communautaire.

- Le paroxysme de la crise correspond à l'acmé du mécanisme victimaire, c'est le sacrifice. Il constitue la particularité humaine essentielle, il est la clef permettant de comprendre toutes les civilisations au delà de différences secondaires. C'est par lui que les humains prennent conscience de la mort et traitent leurs cadavres.

- Avec le sacrifice se constitue un système d'interdits destiné à éviter autant que possible les occasions de rivalité mimétique. Les interdits, les règles sociales ont pour but de discerner une imitation positive (l'apprentissage, la sociabilité) et une imitation négative (ou mimésis d'appropriation.) L'imitation positive est favorisée, l'imitation négative fait l'objet d'un tabou.

- D'une façon générale, dans le cadre d'une violence contenue par le religieux archaïque, seule la victime du prochain sacrifice rituel échappe aux interdits posés. Il s'agit d'attirer sur elle une attention chargée de haine et d'envie, d'admiration et de crainte. La personne désignée se trouve dans une position singulière, à la fois intégrée dans la communauté afin d'être chargée du mal qui la ronge, d'en être tenue pour responsable de façon unanime, elle doit en même temps se différencier d'une manière ou d'une autre pour pouvoir se distinguer.

- La nécessité de ce délai, pendant lequel la victime peut et doit transgresser les interdits, explique sa position de puissance qu'elle peut exploiter pour asseoir le Pouvoir de toute institution politique à venir. Toutes les institutions humaines dérivent du sacrifice, et notamment les institutions politiques et judiciaires.

- C'est également ce délai et la différence dont la victime doit être parée qui expliquent la domestication animale : l'animal est le premier substitut au sacrifice humain. L'agriculture dérive également du rituel et tous les métiers secondaires: forgerons, prêtres, financiers... Toute technique est également enracinée dans le mécanisme victimaire.

- Ainsi, l'objet du sacrifice rituel peut être un roi ou son substitut, un animal domestique, voire son substitut, un artefact, un symbole. On ne sera pas étonné alors de voir situés dans le même signifiant général (idole, objet investi d'un caractère sacré) le dieu, le roi, le paria ou l'animal sacrifié, un fétiche, un symbole.

- L'absence du processus victimaire dans le règne animal, la présence permanente de ce processus dans la culture humaine, invitent à penser qu'il est à l'origine des systèmes symboliques. Le principe extrêmement simple de l'unité seule à ressortir sur une multiplicité non encore dénombrée offre un double avantage : celui de s'ancrer dans le réel du sacrifice, celui d'être dynamique et d'engendrer d'autres différences qui s'organiseront autour de ce point d'émergence, pour constituer des symboles, des représentations du Monde, des langages.


Seuls sont abordés ci-dessus les fondement anthropologique, enraciné dans l'éthologie, d'une hypothèse qui rencontre les prolongements les plus divers dans les sciences de l'Homme. Cette fécondité autorise une application pratique dans un environnement contemporain forcément complexe. Les résultats sont probants. Au regard d'applications telles que la psychanalyse, une thérapie miméticienne permet de dénouer les mêmes difficultés en quelques heures seulement. Il se peut que cela soit considéré comme un inconvénient pour ceux qui ont pris l'habitude de véritables rentes, s'étalant sur de nombreuses années.

Le silence qui entoure la Théorie mimétique parmi les thérapeutes est bien étonnant en effet. Il semble qu'elle soit utilisée incognito, sans prendre en compte sa radicalité. Elle remet pourtant à l'ordre du jour la question des fondements de toute métapsychologie, théologie, de toute psychologie du sujet.

Questions théoriques

Pourquoi théoriser ?

Théoriser est un acte différent de celui de chercher. Les faits ou objets découverts doivent se placer les uns par rapport aux autres, dans l'espace et le temps. Cette mise en forme est ainsi très proche d'une théorie, au sens de la double étymologie du terme : procession (theôria) et observer (theorein). Parcourir par le regard, constituer une procession - ou une succession de faits ou d'objets - cela produit des histoires, des images. Elles surgissent d'elles même et s'assemblent en un ordre précis : elles acquièrent à la fois un sens et du sens pour celui qui sait regarder. Le premier sens du mot théorie fut : science de la contemplation. Le "scientifique de la contemplation" est le véritable théoricien.

Engagés dans le ressac des interactions mimétiques, bombardés d'images et de déclarations qui toutes interagissent les unes par rapports aux autres, nous oublions trop souvent de considérer ces interactions en elles-mêmes. Nous oublions que telle opinion défendue l'est uniquement contre telle autre. Le débat d'idées est une guerre perpétuelle : nous sommes tous des réactionnaires, dans le sens littéral du terme. La véritable théorisation évite cet écueil.

L'agitation polémique nous fait oublier la relativité de toute représentation. Ce qu'elles doivent à leurs modèles, à leurs adversaires n'échappe pas au théoricien. La Théorie mimétique emploie un terme clair pour décrire ce phénomène paradoxal d'attirance et de répulsion : modèle-obstacle. Ne pas le voir, c'est être prisonnier d'un palais des glaces, c'est se cogner aux miroirs et aux vitres invisibles, c'est aussi être enfermé dans la vanité du monde. De même, un bouchon de liège pris dans un tourbillon s'agite beaucoup, mais voyage et connaît peu le monde.

Cela peut être traduit en termes de pathologie. Le pervers croit tirer son épingle du jeu en interrompant le calme voyage de ses proches, en se transformant lui-même en miroir de leur désir ou en vitre obstacle. Il croit dominer la situation alors qu'il en est un simple habitué. La vanité tourbillonnante du bouchon, l'enfermement du palais des glaces est son quotidien. Il a renoncé à trouver la sortie, sa jouissance consiste à faire partager son échec. Son mal se double toujours d'une dépression, le spectacle de l'échec d'autrui le rassure et l'installe dans la prison du ressentiment. Il peut dire alors, à l'instar du renard renonçant aux raisins inatteignables : « ces raisins sont amers et bons pour des goujats ». Laissons lui ce pauvre plaisir, et à la question qui clôt la fable : « fit-il pas mieux que de se plaindre ? » répondons résolument « non ». Car la plainte amorce le début de la libération.

Il serait inconséquent d'adopter une attitude de ce type, dés lors que le terrain devient celui du débat théorique. Si les propositions que nous publions visent à reconsidérer certaines notions, un peu rapidement admises, il ne s'agit pas de substituer un dogme à un autre. La polémique est féconde si elle ne pratique pas l'anathème.

Données du problème

L'ambition du projet freudien pris dans son ensemble, c'est à dire en intégrant ses données anthropologiques, peut sembler déroutante. Il est assez compréhensible que les psychanalystes l'aient amputé de cette dimension importante. L'hypothèse de René Girard permet-elle d'infirmer ou de confirmer les intuitions de son illustre prédécesseur ?

La Théorie mimétique apparaît parfois aux yeux de ses épigones également trop ambitieuse. La science transmise par l'université ne nous a t'elle pas résignés au morcellement du savoir ? L'universalité n'est elle pas un mythe de la Renaissance, identifié et dépassé en raison de l'étendue des découvertes effectuées depuis lors ? L'importance accordée au christianisme notamment dérange les habitudes, car il est admis depuis les lumières que la science s'élabore contre le religieux, et ce postulat n'est jamais reconsidéré. La Théorie mimétique le remet directement en cause, puisque les textes bibliques sont considérés comme une première forme d'anthropologie.

Pourtant, l'auteur de la Théorie mimétique ne prétend pas avoir été porté par une ambition démesurée. Il s'agissait pour René Girard d'intéresser des étudiants américains à la littérature européenne classique. Confronté à ce challenge, il découvrit alors certaines corrélations romanesques, susceptible de concerner une jeunesse confrontée elle aussi aux aléas du désir et de la rivalité. Ces rapprochement, suivis par un second travail sur les textes classiques de l'ethnologie, fondèrent l'hypothèse mimétique. Il semble que Girard n'ait eu qu'à tirer un fil : nous croyons qu'il a effectivement trouvé le bon bout et tiré avec une rigueur constante les développements ultérieurs de son hypothèse.

Le projet psychanalytique découvrait une trés grande ambition sous des dehors modestes. Soigner seulement, les troubles psychiques les moins graves de surcroît (névroses exclusivement, selon Freud), au cours de longues années d'un patient travail… mais précisément, notre professeur doute le premier de la possibilité d'une guérison complète. La maladie en question est-elle inhérente à l'humanité ?

Insu et transfert

La constance avec laquelle certains héritiers de Freud évitent la dimension anthropologique de cet héritage est patente. Notre propos consistera au contraire à la prendre en compte. A cette condition, la pertinence d'une comparaison entre Théorie mimétique et psychanalyse peut encore apparaître, avec leurs différences irréductibles. Quoi qu'il en soit, les deux projets sont bridés par le projet exclusif d'une thérapeutique individuelle. 

Déjà, les apports du psychanalyste lacanien J.D.Nasio ont pratiqué une brèche dans l'édifice métapsychologique : "le transfert analytique est équivalent à l'inconscient, ils sont homéomorphes, à la manière de deux ensembles qui se correspondent réciproquement point par point. Façon de dire que l'inconscient et la relation transférentielle sont, lors de l'événement, une seule et même chose." (Nasio, 1987)

Bien sur, Nasio semble vouloir contenir ce phénomène dans le cadre de la cure, ce qui est une façon élégante de limiter son propos, d'éviter qu'il "déborde"et vienne remettre en question tout l'édifice métapsychologique. Peut-on croire que le cabinet du psychanalyste est l'adresse (la seule?) de l'inconscient, et donc, du transfert? "les psychanalystes font partie du concept de l'inconscient, puisqu'ils en constituent l'adresse" (Lacan 1966). En cas de doute, il est toujours légitime de questionner. Le "laboratoire" freudien (la cure) produisant une maladie artificielle (la névrose de transfert), voila une conception pertinente sans doute, mais cette maladie ne présente-elle vraiment aucune souche naturellement virulente? Il me semble que cette artificialité revendiquée signifie simplement reproduction contenue d'une épidémie qui fait rage au dehors...

Si l'on traduit plus justement l'Unbewusst freudien par le terme d'insu (proposé par B.Cyrulnik), on constate alors que la proposition de Nasio se rapproche beaucoup de la notion de psychologie interdividuelle proposée par G.Lefort, J.M.Oughourlian et R.Girard : il y a de l'insu dans les relations humaines, c'est avant tout de cela qu'il s'agit. Nous ne savons pas exactement ce qui s'y passe, mais cet entre-deux prime sur le mythe de l'individu autonome, transportant avec lui la petite boite-noire de son inconscient personnel.

Il semble que les psychanalystes n'aient pas encore perçu les conséquences de ces découvertes: la métapsychologie, la théorie des pulsions doit être remise en question. Elle est une première forme de théorisation, nécessaire pour Freud sans doute, mais désormais bancale et dogmatique, inutile. Car "le fait psychologique ne se situe dans la tranquille opacité d'aucun "corps" propre, dans la totalité rassurante d'aucun moi, mais bien dans la mystérieuse transparence du rapport interdividuel" (Oughourlian, 1982)

Bien qu'il ne la cite pas, il parait étonnant que Nasio ne se soit pas inspiré des travaux issus de la Théorie mimétique. La recherche en psychanalyse avancerait-elle désormais en niant les apports extérieurs qui la nourrissent ? Si l'événement dont parle Nasio (la manifestation de l'insu : remémoration, lapsus, association, passage à l'acte…) fait appel en partie à un contenu, une mémoire stockée quelque part, l'insu ne se résume pas au postulat d'une zone obscure, un repli du cerveau. Cette mémoire est aussi notre, elle se confond avec la culture humaine, ce continuum mimétique. Or nous en connaissons clairement, depuis Girard, la commune origine.

Si les psychanalystes dogmatiques préfèrent ignorer la dimension anthropologique de l'oeuvre de Freud, c'est qu'ils participent, comme l'ensemble de la société, au déni de l'évidence: la réalité du mécanisme victimaire fondateur de l'ordre social et ses conséquences. La Théorie mimétique nous autorise à ouvrir les volets pour aérer le cabinet de consultation, à parler de politique, de religion, d'éthologie et d'histoire, à envisager une réponse à la question lancinante du propre de l'Homme, de sa singularité problématique et de la justification d'un projet collectif.

La Théorie mimétique se situerait-elle dés-lors dans le prolongement direct de l'entreprise freudienne ? Concurrence, opposition ou indifférence disparaissent-elles au profit d'une filiation et d'une complémentarité ? Un certain nombre d'écueils se présentent d'emblée dés lors qu'une réponse positive est formulée. Les définir, les cerner avec respect pour les partis opposés, voilà un défi que nous proposons de relever.

Le Moi est une structure sociale 

Totem und tabu, ce titre sonore et rythmé se traduit, pour une fois, sans difficulté aucune. Mais cela inaugure mal la suite des débats, très controversés encore aujourd'hui. De quelle nature est la recherche entreprise par Freud ?

"Une difficulté essentielle des sciences humaines est d'ordonner l'individu par rapport à la société. Dans une certaine mesure, le moi lui-même est une structure sociale, en sorte qu'il est difficile de séparer la science de l'individu des sciences sociales." (René Thom, 1990)

Effectuant la comparaison entre l'hypothèse du meurtre fondateur (Girard) et le meurtre du père de la horde primitive (Freud), une psychanalyste m'opposa l'opinion de Lacan à ce sujet. Il s'agirait non pas d'un fait réel, mais d'un fantasme courant, très généralisé, comparable en tout point au fantasme infantile de maltraitance dégagé par le texte Un enfant est battu (Freud, 1919).Voilà ce que nous ne pouvons plus entendre, car il est bien évident que Freud savait différencier les aspects anthropologiques et psychologiques de sa recherche.

Certains lacaniens portent le flambeau d'un prétendu « retour à Freud » pour mieux l'abattre, conformément au double sens du mot tombeau. Tombeau : "monument funéraire, lieu dans lequel on est profondément inconnu, oublié, délaissé", ou "composition littéraire ou musicale en l'honneur d'un grand homme disparu" : le paradoxe joue sur l'intention de magnifier ou de faire oublier. Le verbe tuer reprend la même idée, puisque tutare signifie aussi protéger, qui donnera tuteur.

J'ai pour principe de ne pas bâtir de tombeau. La recherche entreprise est aussi, de façon formelle, une thérapie, c'est à dire une fuite hors de l'Egypte nécrophile. Il ne faut surtout pas tout psychologiser, l'Histoire n'est pas un fantasme (et la pré-Histoire non plus, car le fait de ne disposer d'aucune trace langagière ne nous autorise pas à postuler un Univers fantasmatique: cela vaut pour Mélanie Klein).

Il est des maladies sociales qui se manifestent à travers des individus-symptômes. Les comportements addictifs sont de ceux-là. Drogués, joueurs invétérés, anorexiques… manipulent un objet qui appartient au social. Une approche centrée sur le primat de l'individu, sur l'exploration du "Moi", ne peut en rendre compte. De façon plus générale, les pathologies psychiques sont des privations de liberté, et une souffrance en résulte. C'est donc toujours dans le cadre d'une relation aux autres, à la culture dominante, à la cité, que se pose le problème.

La théorie mimétique et la psychanalyse

L'exemple du narcissisme

Entrons de plain-pied dans l'édifice que je propose de construire, avec ce site. Il est bien évident que les détails et les développements font l'objet d'articles, d'essais et de thèses développées (rubrique articles originaux et bibliographie commentée), mais quelques points forts de la théorie mimétique se dégagent d'emblée sous une forme critique à l'égard de la théorie freudienne en particulier. Pour limiter cet aperçu, concentrons nous ici sur le seul concept freudien de narcissisme.

L'articulation confuse entre identification (Identifizierung) et choix de l'objet (Objektwahl), relevée par Freud (1921), se voit éclairée par la Théorie mimétique. En effet, dés lors que le désir humain se trouve confronté dans tous les cas à un modèle-obstacle réel ou virtuel, désirer un objet présuppose une identification à un modèle. Ce modèle peut alors être confondu avec l'objet lui-même, acquérant ainsi une forme dédoublée que la psychanalyse nomme "narcissique".

Dés lors, le concept de narcissisme n'a plus lieu d'exister, sinon pour désigner dans une forme raccourcie ce phénomène de dédoublement stratégique (le manège de la coquette, qui adopte cette attitude afin d'attirer le désir d'autrui, une certaine position homosexuelle, la stratégie publicitaire…) Dans cette acceptation, rien n'empêche de conserver ce mot qui est entré dans l'usage courant. Il convient alors de le distinguer d'un amour de soi bien naturel, proche de l'instinct de conservation ou d'une pulsion vitale. Cette nuance n'est pas toujours relevée dans le vocabulaire commun. S'aimer soi-même, ce n'est pas faire preuve de narcissisme. Narcisse aime sa propre image, non lui-même.

Lorsqu'il s'agit de psychologie collective et de « narcissisme du chef », la confusion freudienne est particulièrement patente (Dupuy, 1991). La connaissance du mécanisme victimaire et de son inversion : adoration de l'idole, peut rendre compte des phénomènes collectifs sans tomber dans ces présupposés psychologiques, exagérant le rôle de la personnalité du chef (qui serait immature ou régressive, si l'on en croit l'hypothèse freudienne).

La description du meurtre fondateur comme parricide entraînant un sentiment de culpabilité chez les fils constitue, dans le droit fil de ce narcissisme prêté au chef, une vision purement mythologique du réel. De cela découle notamment l'interprétation freudienne du mythe d'Œdipe qui masque le processus victimaire exposé là presque au grand jour. Les conséquences théoriques sont considérables pour la psychanalyse, car ce masquage fonde la vision portée sur la phase de maturation nommée complexe d'Œdipe. La prise en compte par le petit d'homme de la Loi et du monde adulte, de sa propre place dans la société, n'équivalent pas à une « castration narcissique » car la croyance en un réservoir de libido qui serait investi dans un premier temps sur le Moi (Ichlibido), puis sur des objets extérieurs (Objektlibido) a vécu. Avec elle disparaît, entre autres, la nuance entre narcissismes primaire et secondaire.

 

© Benoit Hamot, 2005.

Bibliographie

DUPUY J.P. (1991) La panique, Paris, coll. : Les empêcheurs de penser en rond, éd. Delagrange

FREUD S. (1900) Die Traumdeutung (L'interprétation de rêves), G.W. II/III

(1914) Der Moses des Michelangelo (Le Moïse de Michel-Ange), G.W.X et (1939) Der Mann Moses und die monotheistische Religion ( L'homme Moïse et la religion monothéiste)

(1919) Ein Kind wird geschlagen, G.W. XIII, p. 197-226et la religion monothéiste ) G.W.XVI

(1921) Massenpsychologie und ich analyse ( Psychologie des foules et analyse du moi) G.W. XIII, chapitre VII : Die Identifizierung,

(1937) Die endliche und die unendliche Analyse (analyse finie, analyse infinie), G.W. XVI

GIRARD R. (1978) Des choses cachées depuis la fondation du monde, Paris, Grasset, p.78

NASIO J.D. (1987) Les yeux de Laure, Paris, Champs Flammarion, p.48

LACAN (1966) L'inconscient, Desclée de Brouwer, p.169.

OUGHOURLIAN J.M. (1982) Un mime nommé désir, Paris, Grasset, p.33

THOM R. (1990) Apologie du logos, Paris, Hachette, p.535